YACHT CLASS N°30 (SEPT-OCT-NOV 2022)

Lancées dans l’incroyable défi de traverser l’Océan Pacifique et les 8 000 kilomètres séparant Lima (Pérou) et Moorea (Polynésie française) en janvier 2023, six water women de Cap Optimist ont procédé à un test grandeur nature, début juin, en reliant Monaco à Athènes en 13 jours. Leur performance a forcé l’admiration de toutes et de tous.
Par Jérémie Bernigole-Stroh – Photos : Jérémie Gabrien, Eric Mathon / Palais princier, JBS et DR.

1800 kilomètres, 360 heures non stop, jour et nuit, par temps calme ou venteux, à la seule force des bras et de l’esprit. Les chiffres donnent le tournis. Et, finalement, ils ne disent qu’une infime partie de ce qu’ont vécu Stéphanie Geyer-Barneix, Alexandra Lux, Itziar Abascal, Emmanuelle Bescheron, Margot Calvet et Marie Goyeneche. Ces six femmes, waterwomen de Cap Optimist spécialisées dans le sauvetage côtier, ont décidé de relier la Principauté à la Grèce en un temps record grâce à leur prone paddleboard, une planche d’environ 3 mètres de long et 80 centimètres de large sur laquelle elles se sont relayées, assistées par un catamaran et un équipage de cinq personnes.
Elles ont quitté le Yacht Club de Monaco le 5 juin pour arriver 13 jours plus tard sous les acclamations d’admirateurs au Pirée, le port d’Athènes. « On était très contentes d’arriver en Grèce », confirme Stéphanie Geyer-Barneix. « Cette traversée était très importante à plus d’un titre, parce qu’elle nous a permis de lever des fonds pour la Fondation Princesse Charlène et Elpida, une association grecque qui aide les enfants atteints de cancer. » Le plus fou dans cette aventure à visée caritative, sponsorisée par la communauté hellénique de Monaco, c’est qu’il s’agissait simplement d’un test en vue d’un projet encore plus spectaculaire et périlleux, programmé en janvier 2023 : traverser l’océan Pacifique, de Lima, la capitale péruvienne, à Moorea, une île de Polynésie française. Deux territoires éloignés de 8 000 kilomètres !

Résilience dans l’effort

Des défis, Stéphanie Geyer-Barneix en a vu d’autres. Des océans, aussi. Championne du monde de sauvetage côtier en 2000, la Landaise, meneuse de l’escouade, n’est pas du genre à se laisser impressionner. A 47 ans, elle a vaincu quatre cancers. Et ce n’est pas la raison de sa présence dans le Guinness World Records. En compagnie d’Alexandra Lux et Flora Manciet, elle a affronté l’Atlantique Nord en 2009, reliant le Canada à la France en 54 jours (4 830 km). Elle venait pourtant d’apprendre son deuxième cancer. La détermination incarnée.
Pas surprenant, donc, de voir la voir détendue avant le départ en ce 5 juin. Le Riviera Water Bike Challenge vient de toucher à sa fin. La foule envahit le quai Louis-II dans l’attente de l’autre moment fort de la journée. Parrain de l’expédition, le Souverain, accompagné de ses enfants le Prince Héréditaire Jacques et la Princesse Gabriella, échange quelques mots avec les waterwomen. Ensemble, ils assistent à la bénédiction de la traversée.

mamans avant tout

Vient alors l’heure des au-revoir. Un moment déchirant. Parmi les six exploratrices, trois mamans. Les larmes coulent. En retrait, Emmanuelle Bescheron tient un poupon. Sa fille, Lucie, née il y a seulement deux mois. « Avant de partir, j’ai ressenti de la culpabilité. J’ai beaucoup échangé avec les proches, avec le papa, pour organiser au mieux cette absence. Il ne fallait pas que la séparation soit brutale », témoigne la fondatrice d’Ocean Incentive, un concept de sports aquatiques pour tous. Loin de son bébé, les premières poussées dans l’eau sont compliquées. Des péripéties sur les relais. Le kayak d’assistance qui se retourne. Un petit sauvetage pour se mettre en jambes. Après les efforts sur l’eau, Emmanuelle Bescheron regagnait le catamaran pour tirer son lait. Une super-maman.
Des tranches de vie auxquelles ont assisté les petites dernières de l’expédition. A 24 et 22 ans, Margot Calvet et Marie Goyeneche ont découvert cet univers fait de houle et de vague, de levers et de couchers de soleil, de météo changeante, de courants piégeux, de conditions épiques, de courses avec les dauphins, de vents de face, de réseau téléphonique capricieux. « C’est un rythme de vie différent, on ne dort pas beaucoup, sans contact avec l’extérieur », témoigne la cadette, qui a fait une rencontre inattendue avec un requin au large de l’Italie. Pour autant, la solitude a du bon. « J’ai découvert que j’étais capable de grandes choses, que je pouvais m’adapter à différentes situations, d’autres environnements. Ça permet de grandir très vite. » Marie Goyeneche dévie sur les enseignements qu’elle a tirés : « Avant l’échéance de janvier 2023, je dois encore travailler sur le mental, même si je n’ai pas craqué en 13 jours. Nous serons coupées du monde pendant 90 jours. Mais c’est quoi, 90 jours dans une vie ? Rien ! Je ne vais pas en mourir. Pour aider, je peux me surpasser. »

Nouveau record

Il le faudra, dans la grande lessiveuse du Pacifique. Monaco-Athènes, c’était déjà l’adaptation permanente. Des éboulements ont contraint la fermeture du mythique canal de Corinthe, que souhaitaient emprunter les waterwomen. Changement de plan. Réservation d’un autre bateau. Transfert des bagages. Et de l’équipe. « Dans ce type d’expédition, le plan A laisse souvent place au plan B, C, D voire E. »
Les rameuses ont listé 90 points d’amélioration avant la traversée du Pacifique. Il faudra revoir l’alimentation sur le bateau : veiller à avoir plus de produits frais, quitte à transporter des congélateurs. Anticiper les changements de planche pour maintenir une stabilité lorsque les éléments se déchaînent. Les protocoles d’urgence et les exercices de sauvetage ont été passés en revue.
Une expédition test au rôle de « répétition générale salvatrice », selon les termes employés par la meneuse du projet, jusqu’à l’arrivée à Athènes le 18 juin. Les familles étaient d’ailleurs présentes. Les six aventurières ont profité d’une belle fête en leur honneur au Yacht Club de Grèce à Athènes, apprenant qu’elles ont récolté 130 000 euros. Elles pourront profiter un peu en rentrant en France, avant de retourner au charbon. « On devrait faire un stage de cohésion et de survie le dernier week-end de septembre avec les filles de Mike Horn. On poursuit également notre préparation au CERS Capbreton », poursuit Stéphanie Geyer-Barneix. Puis il sera temps de mettre les voiles pour le Pérou et de tenter un nouveau record, cette fois en faveur de Hope Team East, une association accompagnant des personnes en situation de cancer et de maladies chroniques grâce à l’utilisation de l’activité sportive. Durée estimée de la traversée du Pacifique, jamais tentée en prone paddleboard : 90 jours, en non-stop. « La cohésion et l’optimisme du groupe sont nos plus grandes forces », conclut Emmanuelle Bescheron. « On va continuer le travail et on ne s’arrêtera que lorsqu’il sera fait. Nous arriverons motivées à Lima, prêtes à supporter la charge de travail et la séparation avec les familles. J’espère qu’on atteindra Moorea pour le 6 avril. » Un jour particulier : sa petite Lucie soufflera sa première bougie.

Un soutien sans faille

Ils étaient au Pirée, le 18 juin, pour accueillir les waterwomen sous un tonnerre d’applaudissements. Sophia et Konstantinos Tsouvelekakis, patrons de Brooks Brothers Monaco, ont soutenu l’expédition en la sponsorisant. Sophia nous explique pourquoi.

Konstantinos Tsouvelekakis et son épouse Sophia (au centre de la photo), Présidente de la Communauté Hellénique de Monaco, font partie intégrante du projet. Ce couple est à l’origine du dîner-conférence organisé en mars dernier au Yacht Club en présence du Prince Albert II, qui a permis aux waterwomen de présenter leurs aventures dans la Méditerranée et l’Océan Pacifique. Ils sont des soutiens de la première heure du projet porté par Stéphanie Geyer-Barneix.

Qu’est-ce qui vous a incité à sponsoriser cette traversée ?

C’est la visée de ce défi. Accomplir une telle performance pour la Fondation Princesse Charlène et Elpida, une association grecque qui aide les enfants atteints de cancer, c’est un très beau geste de la part de ces femmes courageuses. Notre geste est à caractère philanthropique. Notre rencontre avec Stéphanie Geyer-Barneix remonte à une soirée de l’été 2020. Nous étions invités au Palais pour célébrer l’arrivée de la Princesse Charlène et des autres athlètes impliqués dans la traversée Calvi-Monaco. Nous étions installés à la même table. Safia El Malqui nous a présentés et nous a proposé d’organiser conjointement un évènement entre Monaco et la Grèce. Stéphanie a immédiatement accepté en évoquant un test d’entraînement en vue de son défi dans le Pacifique. Le Prince Albert II nous a donné son accord. L’aventure débutait.

Que vous inspire ce type de challenge ?

Beaucoup d’admiration. Aux yeux des six waterwomen, cette traversée ne représentait qu’un échauffement pour le Pacifique. Cela paraît fou de parcourir la Méditerranée sur un paddle. Mais trois de ces femmes ont déjà traversé l’Atlantique en 2009 ! Et je ne trouve pas les mots pour décrire ce qu’elles préparent pour 2023. Surtout après les cancers de Stéphanie. D’autres auraient été dévastées à sa place, mais ces graves maladies lui ont donné un courage hors du commun, une force et un sourire. Elle n’est pas la seule du groupe à donner des leçons de vie. Emmanuelle est devenue mère deux mois avant. Bravo à elle et à son mari qui l’a soutenue ! Ces femmes nous montrent l’exemple. L’adrénaline est le meilleur élixir. Bravo à elles et merci pour l’exemple qu’elles donnent au monde.

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