Yacht Class n°6 (sept-oct-nov 2016)

C’est dans ses bureaux aussi studieux que lumineux que nous a reçus Espen Oeino avec une ponctualité qui nous laisse à penser que les retards de livraison que rencontrent certains chantiers ne sont définitivement pas de son fait. Tenue décontractée, sourire aux lèvres, il nous invite à rentrer dans son univers où une large baie vitrée lui offre un point de vue imprenable sur le port Hercule. Dans un désordre organisé où s’empilent les plus beaux ouvrages de yachting, ce passionné d’architecture navale et de design, au palmarès éloquent, s’est confié à Yacht Class.

Texte : Alain Brousse – Photos : Guillaume Plisson et D.R.

Naître en Norvège c’est d’une certaine façon accepter que la mer fera partie de votre univers. A 4 ans déjà, Espen Oeino évoque le bateau comme une évidence. Il faut dire que sa famille a cela dans le sang : du côté paternel, on construisait des petits bateaux, dans celle de sa mère des moteurs marins. Et fort heureusement personne ne l’en dissuadera. Il quitte sa Norvège natale et passe son Bac en France, à Rouen, histoire de se familiariser avec la langue de Molière. En filigrane, le bateau demeure très présent et c’est tout naturellement qu’il entre à l’université écossaise Strathclyde pour y apprendre tous les rudiments de l’architecture navale. Son diplôme lui ouvre les portes du cabinet de Martin Francis. Il ne pouvait trouver meilleur amerrissage et meilleur apprentissage pour entrer dans la galaxie des grands yachts. « Quoi de plus naturel en somme » que de fonder son propre cabinet en 1994 à Antibes, un des hauts lieux du yachting à l’époque. Une rencontre va jouer un rôle pour le moins primordial, avec Michael Breman, responsable des ventes au chantier germanique Lürssen. Tous deux partagent de nombreux points communs si bien que la passerelle entre le chantier et Espen Oeino International paraît aussitôt un axiome qui fonctionne encore aujourd’hui. Pour autant, Espen revendique une indépendance qu’il gère à sa façon. Le principal n’est-il pas que son talent soit internationalement reconnu ? Modestie mise à part, il signe douze des plus grosses unités classées dans notre TOP100, un record et certainement pas un hasard. Son bureau domine le port Hercule, certainement pas un hasard non plus…Il a choisi la capitale internationale du yachting, ni plus ni moins.

En tant que numéro 1 des architectes et designers coté au TOP 100 des plus grands yachts privés du monde, quel est, selon vous, le secteur le plus porteur et le plus intéressant des grosses unités ?

Les yachts de 70 mètres et plus se portent plutôt bien et n’ont pas trop souffert de la crise. Les changements sont intervenus au niveau de l’origine des armateurs. On note un tassement du côté de la Russie et des pays alentours. Au-delà de 100 mètres le marché n’est pas à la peine. Mon cabinet travaille sur trois projets, 77, 88 et 115 mètres.
 

Votre nom est très souvent associé au chantier allemand, au demeurant réputé, Lürssen, comment l’expliquez-vous ?

Au milieu des années 90 j’ai fait la connaissance de leur responsable vente, Michael Breman, lui aussi francophile et nous nous sommes découverts de nombreux points communs. Très vite nous avons collaboré d’autant plus facilement pour moi que ce chantier a une réputation tout à fait justifiée. D’où cette coopération qui dure toujours.

Votre installation dans la Principauté n’a rien de fortuit j’imagine, quelles en sont les raisons principales ?

Après Antibes je ne voyais pas d’autre endroit pour installer mon cabinet. A l’époque la Principauté bénéficiait déjà de l’aura yachting et cela n’est allé que crescendo. D’être dans la capitale du yachting international qui abrite de plus en plus de professionnels du secteur est un formidable atout. La clientèle des grosses unités se trouve à Monaco.

Lorsque vous imaginez un projet à quel niveau placez-vous le critère de la motorisation ? Conseillez-vous des moteurs diesel hybride de préférence, voire des engins totalement électriques ?

Avec le temps mais aussi sous la pression de la réglementation, on devient de plus sensible au respect de l’environnement. Les deux solutions connues se nomment le diesel hybride et les moteurs électriques.  Selon moi la première présente quelques difficultés et la seconde, le « entièrement électrique », n’est pas encore abouti mais elle devrait être la voie à prendre. Actuellement mon équipe travaille sur un projet de tender de 10 mètres électrique.

En 2010, soit en plein cœur de la crise, vous « jongliez » entre huit projets en même temps. Le rythme d’aujourd’hui est-il toujours aussi intense ?

D’une manière générale, mon activité conserve un bon rythme de croisière, soit en moyenne quatre unités par an. Mais je demeure toujours très prudent quant à l’avenir. Certes depuis 20 ans, le secteur du yachting présente une courbe de croissance plutôt rassurante.

Dans la grande plaisance, existe-t-il réellement des tendances en matière de design extérieur et alors quelles sont-elles pour le futur proche ?

Il est évident que depuis quelques années on voit apparaître ce que vous appelez des tendances comme l’étrave droite ou inversée, des surfaces vitrées de plus en plus importantes et des formes faites soit de courbes soit d’arrêtes. Il faut savoir que la genèse d’un yacht commence par les volumes intérieurs que l’on habille ensuite. Chaque yacht est une œuvre presque unique donc il devient difficile d’établir des statistiques.

Pour un architecte naval et designer quel est le moment le plus excitant ?

Pour moi il en existe plusieurs : la phase de création, lorsque le yacht prend forme, lorsqu’il sort du hangar pour la première fois, lorsque la partie moteur devient opérationnelle et par là même le premier essai et enfin quand l’équipage prend possession du yacht.

Le magazine actuel