Yacht Class n°22 (sept-oct-nov 2020)

Yacht Club De Monaco

Quelques jours après l’arrivée de la course Vendée-Arctique-Les Sables d’Olonne, avec une belle septième place, et déjà dans la préparation finale pour sa participation au Vendée Globe, Boris Herrmann, premier ­Allemand à participer à cette course mythique, a bien voulu nous parler de son entraînement et des modifications apportées à son bateau SeaExplorer – Yacht Club de Monaco.

Texte : Christophe Varène – Photos : DR, Eloi Stichelbaut, Yann Riou, Andreas Lindlahr, Team Malizia, Ricardo Pinto et Pierre Bouras

L’homme est affable, souriant, les traits à peine marqués par sa dernière course bouclée en un peu plus de 10 jours, à savoir la Vendée-Arctique-Les Sables d’Olonne. Seules ses mains encore gonflées, qu’il présente à la caméra (cet entretien est effectué en vidéo conférence, Covid-19 oblige), témoignent de la dureté des efforts fournis. Boris Herrmann semble donc heureux, épanoui. Et il le confirme : « Pour moi, c’est naturel d’être en mer. » La Vendée-Arctique-Les Sables-d’Olonne était la dernière course de préparation, et pour certains concurrents, de qualification, au prochain Vendée Globe qui s’élancera le 8 novembre prochain. En terminant septième, et ayant pointé en tête après le virement de la bouée proche de l’Islande, Boris Herrmann savoure le fait d’avoir pu valider les choix techniques des travaux effectués l’hiver dernier. Construit en 2015, son IMOCA (jauge de cette classe de voiliers monocoques de course de 60 pieds) fait partie de la première génération munie de foils et, pour rester compétitif, une remise à niveau était nécessaire. Et le résultat paraît satisfaisant : « Tout s’est bien passé, raconte Boris. Les nouveaux foils me rendent très heureux, ils me permettent d’être plus rapide. Je peux jouer avec les bateaux neufs et j’allais parfois plus vite à certaines allures. Le shape (la forme) des foils varie beaucoup entre tous les bateaux et certains vont très bien selon certains angles de vent et moins bien selon d’autres. Les miens ont des caractéristiques prononcées et à 100° degré du vent, j’allais très vite, à plus de 30 nœuds, tellement vite que j’ai utilisé les capacités de mon pilote automatique pour contrôler cette vitesse. » Le skipper a la possibilité de régler une vitesse fixe ou limite au pilote automatique, en fonction du reste de la flotte, et le pilote lofe pour ralentir si le bateau dépasse cette valeur imposée.

« Mettre la tête dans tous les détails, même les moins intéressants » !

Il faut en effet préserver le bateau… et l’homme. « Le physique devient de plus en plus important avec les foilers car le bateau devient plus agile, plus dynamique. Ça change son comportement. Il faut savoir s’adapter et se tenir, être robuste dans son corps. Après, tu ne gagnes pas un mille de plus parce que tu es plus « fit ». Ça reste le marin avec son expérience qui règle bien le bateau. » Et de prendre pour exemple des marins handicapés qui, comme Damien Seguin avec une seule main, « m’a déjà battu en course », ou des femmes, comme Samantha Davies « qui peut battre tout le monde ». Mais la course au large est aujourd’hui devenue un sport mécanique et la « machine » doit être optimisée en permanence. « Avec les architectes, nous avons fait un énorme pari avec des foils plus grands. SeaExplorer – Yacht Club de Monaco est maintenant un bateau semi-volant. On navigue plus en légèreté et on a allégé d’une tonne dans les ballasts ».Cette évolution a également nécessité de renforcer les structures du bateau et de modifier le design de l’étrave pour gagner en volume et diminuer le risque d’enfournement. Bien sûr, Boris connait son compagnon par cœur – il l’a acheté il y a quatre ans et a déjà effectué 11 transatlantiques (dont une en compagnie de Pierre Casiraghi et de Greta Thunberg !) et parcouru plus de 50 000 milles sous le nom de Malizia II -, mais l’arrivée des nouveaux foils demande beaucoup d’attention. « La crise Covid-19 nous a fait perdre du temps dans notre préparation et il faut beaucoup naviguer pour comprendre le nouveau comportement du bateau. Contrairement à l’America’s Cup, les foils ne sont pas assistés par ordinateur. Le réglage du « rake » (l’angle d’incidence de pénétration du foil, ajustable de 5°, NDLR) reste manuel et on ne peut pas le modifier en permanence. Il faut sentir si le nez va trop haut, si le bateau fait des petits sauts et trouver le réglage moyen pour garder le bateau le plus plat possible. »Le programme est donc chargé pour les trois derniers mois avant le départ du Vendée Globe. SeaExplorer – Yacht Club de Monaco a été sorti de l’eau sur la base de l’équipe à Lorient, démâté et soumis à un examen complet : tant d’éléments sont à vérifier. Boris s’implique dans tous les aspects de ces phases à terre : « Je dois m’intéresser à tout, mettre la tête dans tous les détails, même les plus anodins, les plus inintéressants. Heureusement, j’ai aussi un bon « boat captain » (préparateur) qui s’occupe de tout ce qui est technologie, technique, maintenance, et manage cinq personnes à plein temps. La voile, même pour les courses en solitaire, reste un sport d’équipe. Le « boat captain » participe peut-être plus que le skipper à la réussite d’un Vendée Globe : s’il ne fait pas d’erreur, tu as de bonnes chances de faire une belle course. » Au-delà du bateau, de nombreux domaines requièrent de l’attention : préparation mentale et physique, alimentation, navigation, entraînement à terre et en mer…

« C’est naturel pour moi d’être en mer »

Côté mental, Boris n’est pas inquiet : « J’ai déjà fait trois tours du monde, je suis allé dans le Grand Sud, j’adore voir ces énormes vagues, les albatros, toute cette ambiance. C’est naturel pour moi d’être en mer. Cette course est le projet de ma vie, le résultat de 10 ans de préparation. J’ai eu de la casse, j’ai su m’en sortir. Ça me rappelle qu’il ne faut jamais rien lâcher, aller au bout. C’est sans doute l’aspect mental le plus important car sur un Vendée Globe, il y aura des « emmerdes » presque tous les jours et il faudra trouver des solutions façon « MacGyver ». » Pour le physique, il compte sur les dernières semaines pour monter en puissance, tout en faisant attention à ne pas se blesser. « J’ai dit que ce n’est pas ce qui faisait gagner, mais c’est super important. Pierre Casiraghi, quand j’étais à mon bureau à côté du sien à Monaco, en train de préparer mes courses, me disait tout le temps : « Va d’abord faire un jogging parce que si tu n’es pas frais et fort, tu n’as pas la base. » Il m’a toujours poussé à faire ça. » Pour l’aspect nutritionnel, il s’appuie sur son expérience de tourdumondiste avec, par jour, un repas lyophilisé et un autre sous vide qui apporte plus de goût, de texture, « mais aussi du moral et de l’énergie ». Il est aussi en contact avec des nutritionnistes pour choisir des sources de vitamines, de snacks. « Il faut avoir accès rapidement à beaucoup d’énergie. Sur cette dernière course, ma grand-voile est tombée et pendant trois heures j’étais à fond pour la remettre. On dépense une énergie de fou. » Il faut aussi des compléments à mettre dans l’eau, car celle des dessalinisateurs n’a pas assez de minéraux.La navigation s’anticipe aussi à terre et Boris Herrmann a la chance d’intégrer le Pôle Finistère Course au Large, à Port-La-Forêt, surnommé la « Vallée des Fous ». Avec huit des meilleurs marins actuels, il va participer à quatre stages étalés chacun sur une semaine avec trois jours de navigation océanique et deux jours en flotte, entrecoupés de séances de débriefing. Un sacré atout car, comme le dit Boris, « ceux qui ont gagné les cinq dernières éditions du Vendée Globe sont tous passés par la Vallée des Fous. ». Cela permet aussi de peaufiner les réflexes à bord de ces bateaux conçus avec des habitacles très fermés, où les marins sont amenés à réduire les sorties sur le pont avant. « On essaie de limiter les changements de voiles et de tout gérer avec les enrouleurs, avec des « roulés – déroulés », des manœuvres rapides où l’on peut rester à l’arrière dans le cockpit. On minimise les moments où l’on va devant, mais ça arrive au moins une fois par jour. Ça devient sportif car il faut garder de la vitesse en permanence. Les vitesses moyennes sont très élevées et si l’on s’arrête 20 minutes pour un changement, les écarts se creusent vite. Je m’habille avec la combinaison sèche et je mets mon harnais. On s’entraîne à faire juste des petits changements de cap avec la télécommande du pilote automatique pour que la voile tombe sur le pont. Sur les trackers, c’est pour cela que l’on voit des S se former sur la trace. Sur nos bateaux, on peut avoir cinq voiles en place en même temps, sur des enrouleurs et à des positions qui n’existaient pas avant. L’idée est d’avoir des voiles polyvalentes et de naviguer efficace. »

« J’ai collé une photo de mon bébé pour ne pas me sentir seul… »

A 39 ans, Boris Herrmann est donc un skipper serein, confiant dans son sens marin, son expérience et sa préparation avant de s’élancer le 8 novembre pour son premier Vendée Globe, fier aussi d’être le premier Allemand à participer à cette course d’exception : « Je suis surpris qu’il n’y en ait pas eu avant moi… mais ça va venir après moi (rires). » Pour conserver l’esprit scientifique et apporter sa contribution à la recherche océanographique, des valeurs fortes sur le rocher monégasque, Boris embarque aussi un laboratoire automatisé de 17 kg qui permet de mesurer précisément le taux de concentration de CO2 dans la mer tout au long de son parcours et collecter des données précieuses pour la compréhension du réchauffement climatique, un projet porté depuis dix ans par Yvan Griboval. Surtout, jeune papa depuis juin, il a collé des photos de son bébé à l’intérieur de SeaExplorer – Yacht Club de Monaco : « J’avais demandé à l’un de mes concurrents japonais comment il faisait pour ne pas se sentir seul et il m’a dit de mettre des photos de ma famille. J’ai donc suivi son conseil. » Avec un tel équipier « clandestin » à bord, Boris ne peut qu’effectuer un beau tour du monde.


SeaExplorer – YCM (Ex-Gitana 16 et ex-Malizia II)

  • Longueur hors-tout : 18,28 m
  • Largeur : 5,50 m
  • Tirant d’eau : 4,50 m
  • Hauteur de mât : 29,00 m
  • Voilure au près : 240 à 330 m2
  • Voilure au portant : de 460 à 620 m2
  • Architectes : VPLP et Guillaume Verdier

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