Yacht Class n°19 (dec 2019/jan-fev 2020)

YACHT CLUB DE MONACO


C’est une biennale attendue que la Classic Week. Pour sa 14e édition, ce rendez-vous dédié aux embarcations anciennes a mis l’accent sur les Etats-Unis. Et a accueilli un voilier revenu d’outre-tombe, l’Ester.

Par Romain Chardan – Photos : Carlo Borlenghi et Francesco Ferri / YCM.

Voilà vingt-cinq ans que la Monaco Classic Week a vu le jour. Et dire qu’au départ, cet événement devenu culte dans le monde du yachting ne devait être qu’un « one-shot ». Avec le temps, cette biennale est devenue le rendez-vous des amoureux du yachting d’une autre époque. Celle où la technologie n’existait pas, tout du moins pas comme on la connaît aujourd’hui. Où la navigation relevait encore de la grande aventure, même si cela en reste une encore aujourd’hui. Les choses sont simplement plus faciles. Mais là n’est pas le propos. Du 11 au 15 septembre derniers, la marina et le Yacht Club de Monaco ont vu affluer un peu plus d’une centaine d’unités d’époque, à voile comme à moteur. Concours d’élégance, de restauration mais aussi des chefs, régates sportives, soirées à thème et anniversaires sont autant de moments ayant rythmé ce voyage dans le temps offert par le Yacht Club de Monaco (YCM).

Une flotte impressionnante

Habitués aux yachts contemporains, les passants qui se promènent généralement sur le port monégasque n’ont pas manqué d’être surpris durant la semaine. « Nous avons eu 124 unités avec les canots à moteur, les Dinghies 12, les métriques et tous les voiliers de tradition », annonce Thierry Leret, responsable de la Monaco Classic Week. Répartis sur onze classes différentes, cela a donné « un plateau de bateaux magnifiques, avec beaucoup de big boats et de goélettes », glisse Thierry Leret. Époque Marconi ou Aurique (Marconi et Aurique sont des gréements), yachts classiques, mais aussi de plus petites unités avec les Dinghies 12. Sans oublier, bien entendu, les voiliers comme Tuiga (15 M JI) et les classes plus petites, allant du 12 M JI aux 6 M JI. « La classe des 8 M JI nous a d’ailleurs demandé d’organiser le mondial à Monaco d’ici à deux ans, donc nous allons voir », confie le responsable. Si les bateaux ont été plus nombreux qu’en 2017, c’est aussi parce que bon nombre d’entre eux n’étaient encore jamais venus. « Nous avons accueilli l’association internationale des goélettes ainsi que les métriques pour la première fois, » avec, notamment, la goélette Atlantic, venue du New York Yacht Club et qui avait réalisé, en 1905, le record de la traversée de l’Atlantique, en 12 jours, 4 heures, 1 minute et 19 secondes. Un record qui ne sera battu qu’en 1980 par Eric Tabarly. Et parmi les nouveautés de année, l’une d’elles n’est pas passée inaperçue.

73 ans sous l’eau

C’est l’histoire d’un voilier du tout début du 20ème siècle. Ou plutôt des tréfonds des eaux nordiques. Thierry Leret, incollable sur la vie de ces voiliers, raconte la fabuleuse histoire de ce qui fut une véritable Formule 1 des mers. « Ester est un bateau de 1901, qui a gagné toutes les courses auxquelles il a participé entre 1901 et 1912 ou 1916. Il était un peu révolutionnaire puis ils ont voulu faire des aménagements de croisière et le bateau a coulé à l’aplomb, un jour, dans les eaux scandinaves. » C’est en 1939 que la catastrophe a lieu, lors d’un incendie. Certains disent même que, grâce à ses membres d’équipage qui ont percé la coque avant de plier bagages, cette dernière ne s’est pas brisée en coulant. Étonnamment conservé après 73 ans sous l’eau, le pourfendeur de vagues a été remonté à la surface, il y a 7 ans. « Il est resté tout ce temps dans une eau qui n’est pas très salée, avec beaucoup de vase, ce qui lui a permis de bien se conserver. Un monsieur a entendu parler de cette histoire, il a recherché le navire, et via une association, avec d’autres amoureux de ce bateau, ils l’ont rénové. Le voir ici à Monaco, c’est exceptionnel. » Cette belle histoire qui s’est d’ailleurs prolongée avec une nouvelle victoire au palmarès d’Ester. « Pour sa première réapparition publique, il a gagné le prix de la restauration », rappelle Thierry Leret.

Les USA à l’honneur

Si le bateau suédois a forcément attiré l’œil et la curiosité, ce sont bien les États-Unis qui étaient à l’honneur cette année. « Il a été choisi parce qu’on a mis très souvent en avant les bateaux européens et les plan Fife (de l’architecte William Fife), comme Tuiga, et on voulait essayer de séduire et de présenter les architectes et bateaux américains, comme Nathanael Herreshoff, John Alden, etc », explique Thierry Leret, pour justifier le choix de la thématique 2019. S’ils sont parfois moins connus, ici, que leurs homologues européens, ils ont pu profiter d’une belle exposition une semaine durant. Et mettre en avant les USA est aussi « une façon de remettre la classe métrique à l’honneur avec toute cette évolution de la Coupe de l’America et les liens d’amitiés que nous avons avec le Manhattan Yacht Club », précise le responsable de la manifestation. Et comme la Monaco Classic Week ne concerne pas que les voiliers, les canots à moteur Chris Craft ont également répondu présents. Il n’était ainsi pas rare d’apercevoir au large des équipages habillés d’une tenue représentant la bannière étoilée. Et, comme le rappelle Thierry Leret, ce thème avait aussi une connotation historique et familiale, « puisqu’il y a bien entendu cette double identité de notre Prince-président ».

Une réunion, mais aussi une compétition

Il règne toujours une atmosphère agréable lorsque l’on flâne le long des quais lors de la Classic Week. Un petit village y était d’ailleurs installé. Photographies, peintures, architectes, vêtements de mer, associations, autant d’échoppes temporaires dédiées au yachting et à la tradition. Mais cette semaine est aussi une compétition disputée sur différents tableaux. « C’est un double événement. Un rassemblement de bateaux de tradition et uniquement de tradition, avec une particularité, cependant, puisque nous sommes les seuls à réunir bateaux à moteur et voiliers. Et bien sûr, il y a des courses et du sportif, car, par le passé, ces navires étaient des bateaux de régates, et les armateurs veulent jouer avec. » Chaque classe dispose ainsi de sa compétition propre, et ce sont 18 courses qui ont été effectuées sur la semaine. Parmi les différents résultats, un navire a particulièrement attiré l’attention. Et comme un clin d’œil, c’est un bateau américain, « Chips, un Aurique, qui a survolé les débats dans sa catégorie », glisse Thierry Leret. Cependant, les régates ne sont pas les seules compétitions. Concours de restauration, d’élégance, concours des chefs, il y en a pour tous les goûts tout au long de la semaine. « On veut mettre en valeur ces bateaux, mais aussi ces armateurs qui dépensent parfois beaucoup d’argent pour les rénover. Il faut leur rendre hommage de faire du vernis à longueur d’année et de restaurer ces vestiges du passé. » Parmi ces différents concours, celui des chefs attire souvent l’œil, et éveille les papilles. Il a réuni cette année 15 des meilleurs candidats, tous cuisinant à bord de leur unité. Et 2019 aura été marquée par le sacre des goélettes, puisque c’est Germania Nova qui l’a emporté. De son côté, Puritan a remporté le trophée de la Monaco Classic Week, synthèse du prix d’élégance et de la restauration.


Une année d’anniversaires

Pour son 25e anniversaire, la Classic Week a vu plusieurs de ses navires fêter également le leur. « On fêtait cette année les 110 ans de Tuiga et de Lady Tweeks, et les 130 ans de Tigris », précise Thierry Leret, pour qui parler de Tuiga se fait toujours avec une certaine émotion. Et pour lui, le moment fort de cette semaine a sans conteste été « la parade que nous avons organisée dans le port, encadrée par les Chris Craft, venus en escorte des bateaux qui ont manœuvré au sein de la marina. Cela a quand même été une image forte et un grand moment pour tout le monde. » Ce moment de clôture de la manifestation représente d’ailleurs à lui seul l’esprit de la Classic Week, comme le raconte le responsable de la manifestation. « Voir un bateau de 110 ans qui navigue, sans être tenu dans un musée, en pleine possession de ses moyens, c’est quelque chose d’unique. Des conservateurs du Mystic Support, le conservatoire maritime national des USA, m’ont dit, « mais c’est complètement fou ce que vous avez ici, parce que vous avez des bateaux, mais vous jouez encore avec, vous prenez des risques sur les régates et les départs, c’est fantastique de les voir encore vivants’. C’est aussi ça, l’esprit de la Classic Week. »

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