Yacht Class n°11 (dec 2017/jan-fev 2018)

EXPLORATIONS DE MONACO


Depuis de nombreuses années, Robert Calcagno, directeur général de l’Institut Océanographique, a fait de la protection de l’environnement l’une de ses batailles. Aujourd’hui, il est aussi responsable de la cellule campagne des Explorations de Monaco et nous dévoile son carnet de bord après la première étape du Yersin en Macaronésie, au large de la côte Ouest africaine


Texte : Interview réalisée par Jean-Marc Moreno – Photos : Olivier Borde, Frédéric Buyle / Monaco Explorations, Thierry Apparu, Maralliance, Pedro Vasconcelos


Situées à environ deux jours de navigation au sud de Madère, en plein milieu de l’Atlantique, les îles Selvagens sont sauvages. Elles ont la chance d’être protégées depuis de nombreuses années par des gardiens. Cette photo est un peu le symbole des Explorations de Monaco : modernité, technologies, protection de la nature. Nous plongeons en apnée, avec des gens très compétents qui restent facilement trois minutes sous l’eau, à 20-30 mètres, voire au-delà, et qui notamment filment en caméra à 360° pour la réalité virtuelle. Pour observer la faune, l’apnée est idéale car elle permet d’éviter un lourd équipement et ne fait pas de bulles, ce qui permet de s’approcher plus discrètement, sans oublier que l’on est plus souple, agile et éthiquement plus respectueux de la nature.
A l’origine du redémarrage des grandes expéditions scientifiques de Monaco, il y a l’Institut Océanographique, dirigé depuis 2009 par Robert Calcagno. Un bel hommage quand on se souvient que celui-ci fut créé au début du siècle dernier par le Prince Albert Ier, le « Prince Navigateur », après des années passées à parcourir le monde, de recherches en expéditions, mettant une première pierre à l’influence de la Principauté en matière d’océanographie. Tout récemment, l’Institut Océanographique avait ré-ouvert la voie avec des explorations tests sur l’archipel des Palaos ou sur les récifs de Tubbataha aux Philippines, « ce qui nous a permis de tester l’idée. Ensuite, le Souverain a voulu développer un projet qui donnait plus d’ambitions et de moyens à ces explorations, en associant toutes les entités de la Principauté liées à la mer : le Palais, le gouvernement, la Fondation Prince Albert II, le Centre Scientifique de Monaco, le Yacht Club de Monaco, et bien sûr l’Institut Océanographique », se souvient Robert Calcagno qui porte aujourd’hui la casquette de chef de la cellule campagne de Monaco Explorations, avec pour responsabilité de « piloter, de coordonner l’ensemble des responsables pour que les différentes missions se passent bien et constituent une campagne intéressante et couronnée de succès ». Rencontre

Parlez-nous des deux angles d’attaque – science et conscience – que vous avez définis ?
Ces angles sont très importants. Les Explorations de Monaco ne sont pas la seule campagne de sciences océanographiques dans le monde. Il y en a même de très nombreuses avec parfois des navires plus puissants ou des équipes mieux rôdées. La contribution de Monaco aux actions internationales ne se veut pas quantitative, car on ne peut pas multiplier le nombre de nos campagnes dans le monde, mais bien qualitative, en apportant quelque chose que les autres expéditions ne peuvent apporter. Ce quelque chose d’exceptionnel, c’est le fait que nos campagnes océanographiques soient pilotées par le Chef d’Etat lui-même, avec tout le pouvoir, la notoriété, la capacité d’influences qu’il a développé et consolidé depuis une bonne dizaine d’années en protégeant les océans. Cela n’existe nulle part ailleurs. C’est donc bien une campagne qui avance sur la science mais aussi sur la conscience, c’est-à-dire sur la volonté d’assurer la médiation des messages, des découvertes, de nos recherches visant à améliorer la prise de conscience de la population mondiale des problématiques liées à l’océan. La capacité de médiation du Prince Albert II, tant auprès des grands de ce monde que du grand public, est essentielle dans un but, qui est un peu le sous-titre des Explorations de Monaco : réconcilier l’humanité et l’océan, l’homme et la mer.



Vous l’avez déjà décrit dans Yacht Class, le Yersin est le support, l’outil des Explorations de Monaco. François Fiat l’a conçu, dès l’origine, comme un navire pouvant traiter la science et la conscience, puisqu’il peut aussi bien accueillir des recherches océanographiques tout en portant un message en qualité de « cleanship », alors que la plupart des bateaux d’expédition sont malheureusement des navires industriels. Si on veut faire passer un message sur la protection de l’océan, il faut que l’outil utilisé soit vertueux.



Symboliquement, une des recherches les plus importantes à Madère concernait le phoque moine de Méditerranée. Son nom scientifique est « Monachus Monachus » ce qui explique en partie l’attachement de Monaco à cette espèce, autrefois fréquente. Dans les années 80, on pouvait les trouver aux Iles de Lérins, en Corse où le Prince Rainier III en avait observés… Aujourd’hui, cette espèce est grandement menacée en Méditerranée, et dans le monde. On évalue sa population mondiale entre 500 et 1 000, en raison de la surpêche, qui raréfie sa nourriture, et de soucis d’habitat puisque cette espèce se repose et se reproduit dans les grottes et sur les plages. Sans oublier la pollution et les problèmes de chasse, voire « d’assassinats », par les pêcheurs qui les considéraient comme un concurrent à leurs activités. Les îles Desertas, au large de Madère, abritent encore une population de phoques moines. Il y a 20-25 ans, une douzaine était recensée et identifiée, aujourd’hui ils sont environ 44. C’est un cas un peu exceptionnel. Et nous avons voulu en comprendre les raisons, étudier leurs conditions de vie et les mesures de protection mises en place. Nous sommes allés les observer, reconnaître les endroits où ils pouvaient se reposer, se nourrir, se reproduire. Et puis nous avons invité à bord du Yersin des gestionnaires d’aires marines protégée de Grèce, Turquie, Mauritanie… pour partager cette expérience. C’était la première fois que le Prince et moi-même apercevions un phoque moine. Et c’était aussi la première fois que ces personnes se rencontraient, échangeaient leurs méthodes dans l’espoir de trouver des moyens plus efficaces de protection du phoque moine.

Quel bilan dressez-vous de la première étape du Yersin en Macaronésie ?

Je crois que nous avons analysé le fait que les Explorations de Monaco répondaient à un besoin, justement dans cette science et conscience. Ces premières missions en Macaronésie ont montré l’enthousiasme avec lequel les Explorations de Monaco ont été reçues, notamment par leur capacité à impliquer à la fois les politiques et scientifiques locaux. Nous avons réalisé toutes nos recherches avec des équipes de sciences locales, tant à Madère qu’au Cap-Vert, en leur apportant des moyens dont ils ne pouvaient pas disposer, ce qui les a débloqués dans leurs activités de recherches et leur a permis d’avancer. Nous avons vraiment pu leur donner le coup de pouce qui leur a permis d’aller plus loin. En même temps, l’intérêt des politiques locales fut très important. Je ne donnerai qu’un seul exemple : deux chefs d’Etats, le président du Portugal et celui du Cap-Vert, se sont mobilisés. Ils ont rencontré le Prince Albert II avec qui ils ont échangé sur ces questions-là. Le Président du Cap-Vert a également visité le Yersin. Et le Président du Gouvernement Régional de Madère est même venu y passer deux jours avec le Souverain pour comprendre la problématique de la protection du phoque moine.

Avec l’augmentation démographique, peut-on réellement demander à l’homme de de faire passer la nature au premier plan ?
Il ne faut pas se tromper sur le sens de l’action de Monaco et du Prince Albert II. Nous ne mettons pas en avant la défense de la nature contre l’homme, mais la défense de la nature pour l’homme, parce que l’homme fait partie de la nature et la nature inclut l’homme. Avec l’accroissement de la population de la Terre et de ses besoins, l’homme se tournera de plus en plus vers une utilisation économique de l’océan. Il serait utopique d’essayer de l’empêcher ou de l’arrêter. Mais, la mise en place d’une économie bleue est possible. Et c’est ce que le Souverain défend. Il est utile de regarder l’océan, il y a des richesses énormes, comme par exemple des biotechnologies. Mais, par contre il est très important de mettre en place des règles, des régulations, des aires marines protégées, pour que l’exploitation des océans se fassent de manière durable. A Madère, par exemple, nous avons visité une usine BuggyPower, qui produit des micro-algues à partir de leur souche, d’eau de mer et de CO2, issu de la production d’une usine d’électricité installée à proximité immédiate. Ce gaz carbonique est capturé puis injecté dans d’immenses réacteurs dans lesquels les micro-algues se développent, avant d’être transformées en un complément nutritionnel, plein d’oligo-éléments et de vitamines. Voilà, ça, c’est l’économie bleue que nous souhaitons développer.     



Nous avons profité de notre traversée entre le Cap-Vert et la Martinique pour étudier les bancs de sargasses qui, depuis quatre à cinq ans, prolifèrent et viennent s’échouer en masse sur les îles des Caraïbes, causant d’importantes pollutions sur les plages. Il était important d’essayer de comprendre ce phénomène. Nos échantillonnages permettent d’étudier l’analyse génétique, mais aussi la faune et la faune micro-biotique, pour voir s’il n’y a pas des phénomènes de symbioses… qui expliqueraient que ces algues se développent de manière plus importante. Cela nous permettra de comprendre l’impact du changement climatique, des variations des courants, etc. mais également les rôles de ces radeaux dans la faune sous-marine, puisque souvent en-dessous on y trouve beaucoup de poissons pélagiques.

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