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Yacht Class n°11 (dec 2017/jan-fev 2018)
UN BATEAU, UNE HISTOIRE
La famille Grimaldi a toujours affiché son amour de la mer et du yachting. Cette passion, la Princesse Caroline De Hanovre la vit aussi à bord d’un yacht du début du vingtième siècle au pedigree pour le moins flatteur. Histoire et mésaventures du Pacha III, motor-yacht d’exception né outre-Manche chez Camper & Nicholsons.
Texte : Emmanuel de Toma – Photos de l’auteur / Tous droits réservés : Marianne Haas
Grande Bretagne, février 1936 : Le roi George V décède, laissant dans ses dernières volontés le sabordage en haute mer du yacht Britannia. A Buckingham, sa succession houleuse tient le peuple en haleine. Pendant ce temps, face à l’île de Wight, précisément à Gosport dans le tout-puissant chantier Camper & Nicholsons, qui depuis près d’un siècle a produit les yachts les plus fous de la création, l’activité bat son plein. Sous les carnets de commandes pleins à craquer, on ferraille dur. Au sens propre du terme car l’acier est roi dans ces hangars immenses. Neuf unités sont en cours de finition, parmi lesquelles le Class J Endeavour II, voilier de plus de quarante mètres promis aux duels impitoyables de la Coupe de l’America.
A deux pas de là commence la construction d’un luxueux motor-yacht de 36 mètres commandé par un certain Walter Crooke. Comme tous les clients du chantier, ce gentleman exige l’excellence. C’est son droit et il ne s’est pas trompé en frappant à la porte de l’architecte maison Charles E. Nicholson. Il veut un bateau marin, fiable, luxueux et confortable pour de paisibles croisières en Manche et en Atlantique. Là où il faudrait de nos jours une année, voire deux, pour conclure une telle entreprise, le puissant constructeur de Gosport achève le travail en un peu moins de six mois. Le yacht est lancé en août 1936 sous le doux nom de Arlette II. Sa longue et fine carène remarquablement construite va sillonner mers et océans entre les mains de nombre de propriétaires durant plus de cinquante ans avant de devenir le yacht de la Princesse Caroline sous le nom de Pacha III. Walter Crooke, son premier armateur, n’en aura guère profité. En 1940, Arlette II passe naturellement sous pavillon de la Royal Navy et se trouve basé à Falmouth, à la disposition du vice amiral Sir Henry K. Kitson qui l’affecte à l’ »Examination Service ». Son rôle : la surveillance des abords du port militaire. Le yacht échappera ainsi à l’évacuation de la poche de Dunkerque qui n’a pas mobilisé moins de quatre-vingt-douze bateaux de plaisance convertis par Camper & Nicholsons. Parmi ceux-ci : la fameuse série des Bounty Class à la silhouette très proche de Arlette II. A l’issue des années sombres, le yacht retrouve sa splendeur sous le nom de Priamar. Il descend alors en Méditerranée pour devenir Cardigrae V entre les mains du distributeur Rolls-Royce et Bentley Richard R. Dutton-Forshaw.
Dans les années cinquante, Louis Renault acquiert le yacht, le nomme Briseis puis le revend en 1967 au peintre Bernard Buffet qui l’amarre tout naturellement à Saint-Tropez, en face de l’Escale. Il convient de préciser sur ce dernier épisode que les Affaires Maritimes censées veiller à ce que deux navires ne portent pas le même nom, ont joué un vilain tour aux historiens les plus pointus. Louis Renault avait en effet commandé au chantier Camper & Nicholsons un yacht lancé en 1930 sous le nom de Briseis. Il s’agissait alors d’un voilier mixte à moteur électrique dont le nom a persisté dans les registres longtemps après sa revente au champion olympique de voile Gaston Thubé en 1952. Dès lors, deux Briseis sillonnaient la Méditerranée… Heureusement, toute possibilité de confusion s’estompe lorsqu’après une vingtaine d’années de navigations harassantes l’ex-Arlette II séduit par ses lignes, plus que par son état lamentable, la Princesse Caroline et son époux Stefano Casiraghi, champion de course offshore. En 1990, notre Camper ne pouvait trouver meilleur point de chute que cette famille princière entièrement dévouée au yachting. Le Prince Rainier III avait possédé et choyé le Deo Juvante, ex-Monica, déjà un Camper & Nicholsons remplacé par le Costa del Sol jusqu’à l’acquisition de l’Albercaro (Albert-Caroline). Conformément à cette tradition de la compression des prénoms de la descendance, suivirent le Carostefal, le Stalca et enfin le Pacha (Pierre-Andréa-Charlotte). Près de soixante ans après son lancement-sous le nom d’Arlette II.
Pacha III plus neuf et performant que jamais…
C’est juste après l’achat du bateau que se produit le drame. Stefano Casiraghi perd la vie au large du Cap Ferrat dans un terrible accident d’offshore. Dans les brumes du chagrin, le yacht passe au second plan mais rapidement la Princesse Caroline décide de mener à bien la restauration de ce bateau que son défunt mari aurait tant voulu voir sous son meilleur jour. En deux années, le chantier italien Valdettaro situé à Porto Venere remet le yacht à l’état neuf. Deux moteurs V8 Caterpillar de quatre cents chevaux remplacent les vieux Deutz plus que fourbus. La coque en acier riveté est entièrement révisée, l’électronique et toutes les technologies de pointe embarquent avec une discrétion extrême. Dans la salle des machines trouvent place les groupes de climatisation, les dessalinisateurs, le chauffage et les groupes d’eau chaude, le compresseur de plongée et bien d’autres choses encore dont on ne saurait se passer au vingtième siècle. Sur le pont, tout est remis à neuf mais attention, la Princesse est formelle, les plans du bateau obtenus chez Camper & Nicholsons doivent être intégralement respectés. Les superstructures sont reconstruites en aluminium, sans doute pour alléger quelque peu les hauts mais cela n’a pas été sans poser quelques problèmes d’électrolyse, aujourd’hui résolus. Enfin, cerise sur le gâteau, la carène est dotée des stabilisateurs de deux mètres dont ont sans doute rêvé les propriétaires précédents car le bateau à la longue coque étroite devait se révéler bien rouleur. Enfin, soucieuse de respecter l’authenticité du bateau, la Princesse Caroline ne fait opérer que peu de changements dans la disposition des aménagements. Deux détails tout de même : la cheminée qui trônait dans le salon est supprimée et la salle radio située près de la timonerie est transformée en toilettes. Dans la coque mise à nu, le designer Jacques Grange va redonner à cet intérieur le lustre d’antan. Le chêne, l’acajou, les rampes d’escalier sculptées, les plafonds lambrissés, les lampes marines, tout est là pour témoigner du yachting des années trente, terriblement « victorien » ou « so british » comme l’on dirait aujourd’hui. Avec une nuance toutefois : la touche lumineuse et colorée des tissus et, partout, brodé sur les coussins du salon, moulé dans le bronze de l’accastillage, le poisson couronné dessiné spécialement par l’artiste Keith Harring.
Lumières et couleurs inondent le salon
Il n’est pas le plus grand, le plus haut, le plus clinquant, loin s’en faut, mais parmi les yachts géants qui peuplent le port de Monaco, Pacha III est de loin le plus élégant. Arrière canoë, étrave à guibre, franc bord discret, sa coque fine de trente-six mètres invite à plonger vers l’horizon. Plus neuf que neuf, c’est un bijou digne du coup de crayon inégalé de Charles E. Nicholson.
On s’attendrait à trouver en ce noble bord l’ambiance un peu austère, voire hautaine d’un yacht ambassadeur de la Principauté. Certes le pont arrière, véritable salon d’été, marie sans frivolité le teck, les acajous vernis et autres bronzes rutilants mais aussitôt franchie la porte à deux battants du grand salon, le visiteur se trouve happé par l’intimité d’une ambiance familiale, joyeuse et riche de souvenirs. Moquette à rayures bayadère, fauteuils carrés jaune paille, canapés aux larges bandes bleu outremer et blanches, quatre fauteuils demi-lune vert amande autour d’une petite table ronde en acajou, parois de chêne doublées à mi-hauteur de bibliothèques à claire-voie, coussins foisonnant en coton. Dans la douce lumière dispensée par huit fenêtres anse de panier, rideaux verts de gris à embases, cette pièce à vivre exhale un doux parfum de vacances heureuses. Le même esprit « vacances » s’invite dans la salle à manger située en contrebas, distrayant la sévérité des meubles et cloisons en acajou et chêne vernis. Le reste du navire est occupé par quatre cabines dont la suite armateur qui s’étend sur toute la largeur du bateau. Vers l’étrave se trouve enfin regroupés la cuisine, le mess et les cabines de l’équipage, composé de quatre personnes à l’année auxquelles se joignent un cuisinier et un steward pour les croisières. Assurément le designer Jacques Grange a su marier à la perfection la tradition rigoureuse et toute britannique des yachts d’époque avec une certaine légèreté toute méditerranéenne.
Nicolas Rouit – Capitaine du Yacht Pacha III
Dans sa timonerie haut perchée et lumineuse, toute de bois vêtue et, en apparence, meublée simplement d’une barre et d’un chadburn, le capitaine Nicolas Rouit dispose en réalité des équipements des yachts les plus modernes. Les portes à lamelles situées de part et d’autre de la barre masquent en effet les centrales électroniques et tous les instruments nécessaires à la marche du bateau comme à la surveillance de ses organes. Le manche du chadburn n’est autre que la manette des gaz et deux élégants petits joysticks permettent le contrôle total du Pacha III tout en demeurant à l’extérieur de la timonerie. Utile pour l’accostage en marche arrière. Le capitaine Rouit ne cache pas son enthousiasme : « Le Pacha III effectue souvent de grandes croisières dans toute la Méditerranée, souvent vers la Grèce ou l’Espagne. Avec 32 000 litres de gazole, nous avons environ 3 000 milles d’autonomie. Sa fine carène passe à merveille dans la mer et même par près de deux mètres de creux, il maintient sans broncher sa vitesse moyenne de 11 nœuds. Une fois, en quittant Ajaccio, nous avons rencontré une houle de 3,50 m par le travers durant deux heures. Le bateau tenait toujours son allure. Avec ses 166 tonnes et 2,50 m de tirant d’eau, ce merveilleux bateau peut vraiment faire route par tous les temps. En toutes constances, la vie continue normalement à bord. Il faut dire que la Princesse Caroline et ses enfants sont de vrais marins. Pierre Casiraghi, que j’ai connu lors de mes dix années passées à bord de Tuiga, le voilier classique du Prince Albert II, navigue en ce moment dans le circuit Imoca et prépare le Vendée Globe 2020. »