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Yacht Class n°13 (juin-juillet-août 2018)
De Cap Vert à Malpelo
Depuis son départ du Cap Vert, au large du continent africain, le Yersin a parcouru près de 3 500 milles, faisant étape en Martinique, puis à Malpelo, à 215 milles des côtes colombiennes, dans le Pacifique. Retour sur les dernières missions des Explorations de Monaco.
Par Aurore Teodoro – Photos : Olivier Borde et Fred Buyle / Monaco Explorations
Six mois se sont écoulés depuis notre dernier point. Six mois durant lesquels les Explorations de Monaco (EDM) n’ont pas chômé. Après la Macaronésie, ses phoques moines et ses scinques géants (lézards), une nouvelle équipe de chercheurs avait alors embarqué à bord du Yersin. Son objectif ? Profiter de la transatlantique les menant vers la Martinique pour étudier les bancs de sargasses, cette algue brune qui depuis quelques années prolifère et vient s’échouer sur les côtes caribéennes. « Cela se compte en milliers de tonnes. Ces algues sont toxiques. Elles s’échouent, se mettent à fermenter sur le sable et si on ne les retire pas, pourrissent causant des problèmes olfactifs et surtout sanitaires puisqu’elles dégagent de l’hydrogène sulfuré », rappelle Thomas Changeux de l’Institut Méditerranéen d’Océanologie, le chef de cette mission sargasses. Son domaine de recherche est vaste. Et pour cause, puisque ce nouvel écosystème apparu soudainement en 2011 touche toute la zone nord équatoriale de l’Atlantique, de l’Afrique aux Caraïbes. Et la traversée du Yersin était une occasion parfaite pour son équipe car si les sargasses ont fait l’objet de nombreuses missions, jamais encore une transatlantique entièrement dédiée à l’étude de cet écosystème n’avait été réalisée. Au total, les chercheurs auront donc passé vingt jours à bord du Yersin. Une véritable « poursuite à travers l’Atlantique, assistée par satellite », dans des conditions idéales. « Les éléments de confort à bord sont assez exceptionnels. A l’origine c’est un yacht, donc il y a parfois des inconvénients pour la science, mais ça a aussi d’énormes avantages pour le scientifique car au jour le jour on est dans de bonnes conditions pour pouvoir faire nos plongées ». Des plongées, ils en ont d’ailleurs effectuées des dizaines. Et la pêche a été bonne, puisque les scientifiques ont observé trois différentes formes de sargasses et rencontré de véritables oasis pour la faune marine, où se mélangent tout un tas de petits invertébrés et de poissons. « On a découvert un écosystème extrêmement riche. On a pu ramener plus de 1500 échantillons pour savoir si ce sont des espèces différentes et étudier le réseau trophique (ensemble de chaînes alimentaires reliées entre elles au sein d’un écosystème) », explique le chef de mission, satisfait. Si aujourd’hui, l’heure est encore aux analyses, l’équipe de Thomas Changeux espère bien tirer de leurs observations et échantillonnages les clés ce nouvel écosystème : les causes de son apparition, ses sources de nutriments et l’influence des éléments extérieurs, ses futures migrations et évolutions…
Projet mégafaune, de la Martinique à Malpelo
Visites de scolaires et d’officiels notamment, inauguration par le Prince Albert II de la réserve naturelle territoriale marine du Prêcheur Albert Falco… c’est un programme chargé qui attendait les Explorations de Monaco à son arrivée en Martinique. A commencer par quelques travaux de réaménagements sur le Yersin. « Les Explorations de Monaco ont été lancées en décembre 2016 et le départ du bateau a eu lieu le 27 juillet 2017. Ce délai très court n’a pas permis de procéder à toutes les modifications qui permettront d’accueillir dans les meilleures conditions les programmes scientifiques structurants sélectionnés par le Comité d’Orientation Scientifique (COS) des EDM. Une partie des aménagements à bord a été réalisée en Martinique (coffres de stockage, etc.) », rappelle le professeur Patrick Rampal, le directeur du COS. Ces quelques mois à terre auront aussi permis de procéder à des réglages puisque « des scientifiques du Centre Scientifique de Monaco et du laboratoire de Villefranche, en ont profité pour paramétrer leurs matériels, tant scientifiques qu’océanographiques », explique Patrick Rampal « Des essais en mer du robot sous-marin (ROV) ont également pu être réalisés et différentes études techniques à bord ont été conduites pour optimiser le matériel à intégrer à bord ».
Côté « expéditions » aussi le planning était chargé, puisque le Yersin a accueilli le projet « Megafauna », un programme d’envergure mondiale qui accompagnera tout du long les Explorations de Monaco. Celui-ci vise à « mieux comprendre la distribution spatiale de la mégafaune marine (poissons osseux, requins, tortues et mammifères principalement) dans les eaux tropicales pour mieux la protéger en identifiant les habitats essentiels qui servent de derniers refuges » explique David Mouillot, de l’Université de Montpellier qui pilote le projet. « Celle-ci reste méconnue car les individus sont rares, très mobiles et furtifs avec des évitements de l’homme qui rendent les méthodes de recensement classiques inefficaces ». Pour mener cette mission à bien, l’équipe de six chercheurs a suivi un protocole innovant et peu intrusif, qui consiste à filtrer l’eau de mer à la recherche d’ADN environnemental (eADN). Ces traces laissées par ces espèces via leurs matières fécales, blessures ou encore leur urine, et qui substituent environ 24h dans l’eau, leur permettront ensuite de reconstituer la diversité de la mégafaune de ces sites. Dans cette optique, l’équipe a également procédé à l’échantillonnage de poissons et déployé des caméras appâtées pour attirer les prédateurs, les filmer, les identifier et les recenser.
On retrouvait de nouveau le projet Megafauna lors de la troisième étape des Explorations de Monaco, côté Pacifique cette fois, puisque le Yersin avec mis le cap sur le sanctuaire de Malpelo, une île rocheuse inhabitée située à 400 km au large des côtes colombiennes. « L’un des derniers sanctuaires pour les requins », souligne David Mouillot qui tire un bilan positif de cette collaboration avec la campagne monégasque : « Les capacités du Yersin nous ont permis d’accéder à des sites isolés et aux eaux profondes qui restent largement méconnues concernant leur composition en mégafaune. Le bateau sera aussi la première plateforme embarquée d’analyse en temps réel de la biodiversité avec des laboratoires et du matériel dédiés à l’étude de l’eADN. Les Explorations de Monaco contribuent aussi à financer ce séquençage ». Les squales étaient également au cœur de l’attention d’une autre mission dirigée par Sandra Bessudo, océanographe et biologiste marine franco-colombienne. Assistée d’une équipe d’apnéistes, composée notamment du Monégasque Pierre Frolla, plongeur en chef des Explorations, l’objectif était d’équiper ces grands mammifères de balises GPS pour suivre leurs migrations et mieux les comprendre. Notons qu’ils ont été rejoints pendant quelques jours par le Prince Albert II.
Prochaine mission en 2019
Prochaine étape : les Galapagos, cet archipel qui abrite une biodiversité unique. On y retrouvera d’ailleurs les chercheurs du projet Megafauna, mais pas avant le début d’année prochaine. « Le bateau n’étant affrété que 6 mois par an, il a fallu en mai le remettre à son propriétaire. En novembre, il est prévu de mettre en place dans un chantier naval de Californie quatre équipements océanographiques qui ont été acquis et n’ont pas pu à ce jour être installés : un sondeur acoustique qui visualise en temps réel l’emplacement des bancs de poissons et des couches de plancton, un profileur à effet doppler permettant de visualiser les courants, et un système de repérage GASP qui permettra de sécuriser les plongées du robot sous-marin, le ROV, et d’assurer un suivi précis de sa position. Une prise d’eau prélevant « en continu » qui permettra de disposer d’eau « non polluée » pour les instruments de mesure de la pollution sera également ajoutée », souligne le directeur du COS. Le calendrier de la campagne monégasque en sera-t-il impacté ? « Les missions planifiées seront effectuées. Par exemple, la mission « Galapagos » est simplement reportée au début 2019. De ce fait, le programme a pris un certain retard qui nous conduira peut-être à prolonger la campagne initialement prévue pour trois ans », précise Patrick Rampal qui tire un bilan très positif de cette première année d’expéditions : « après une période d’ajustement, les différentes missions accueillies à bord du Yersin ont su allier des actions de proximité en support des organismes locaux, en Macaronésie et aux Antilles, qui ont permis des médiations de qualité. Mais aussi de riches missions scientifiques dont les résultats complets sont attendus dans les mois à venir et qui devraient apporter une meilleure connaissance des océans. Après son passage en chantier fin 2018, le Yersin sera un véritable bateau océanographique et la richesse des demandes de collaboration des plus grands centres mondiaux d’océanographie nous permet d’escompter apporter des avancées majeures dans la connaissance du milieu océanique ». Vivement 2019 !