Yacht Class n°24 (mars-avril-mai 2021)

La neuvième édition du Vendée Globe restera dans les mémoires pour son scénario inimaginable avec son sauvetage, son suspens jusqu’au bout et ses formidables histoires humaines. Parmi les 33 skippers, Boris Herrmann, l’une des belles révélations, a fait rêver la Principauté de Monaco. Retour sur une épreuve d’anthologie.

Texte : Christophe Varène. Photos : Jean-Louis Carli – Bernard le Bars – Yvan Zedda – Jean-Marie Liot – CPL Phil Due/BFSAI

Seul un marin pouvait penser à une épreuve aussi folle. Double vainqueur du BOC Challenge, Philippe Jeantot a repoussé les limites en créant, en 1989, cette course autour du monde en solitaire et sans assistance… Bien sûr, il y eut des drames avec des disparitions, celles de Mike Plant et Nigel Burgess avant et pendant la course de 1993, puis celle de Gerry Roufs en 1997, sans compter les naufrages et les sauvetages : du premier, spectaculaire parce que filmé, de Philippe Poupon dont le bateau est redressé par Loïck Peyron, jusqu’à celui, il y a quelques semaines, de Kevin Escoffier par Jean Le Cam, lui-même récupéré, en 2009, par Vincent Riou. Mais il y eut aussi des moments de bravoure comme l’opération de Bertrand de Broc qui s’est lui-même recousu la langue ou l’incroyable reconstruction d’un mât par Yves Parlier, avec les moyens du bord, le skipper finissant son tour du monde en se nourrissant de moules récupérées lors de son arrêt. Et que dire de l’avènement de marins d’exception, à commencer par Catherine Chabaud, première femme à boucler un tour du monde en course et en solitaire, et Ellen MacArthur, jeune Anglaise de 24 ans qui tient la dragée haute à Michel Desjoyeaux, terminant deuxième de l’édition de 2000-2001. Et s’il faut citer les vainqueurs – Titouan Lamazou, Alain Gautier, Christophe Auguin, Michel Desjoyeaux, le seul à avoir remporté deux fois l’épreuve, Vincent Riou, François Gabart, Armel Le Cléac’h et, dernier en date, Yannick Bestaven – il ne faut pas oublier tous les skippers, femmes et hommes, qui se sont élancés dans cette aventure toujours exigeante en termes de compétences. Et, au plan technologique, que dire de l’arrivée des foils qui ont transformé les bateaux en machines volantes. Résultat de cette évolution, en trois décennies, le record du Vendée Globe est passé de 109 jours et 8 heures à 74 jours et 3 heures ! On en redemande !

Boris Herrmann, si près du rêve…

Boris Herrmann s’est incontestablement révélé aux yeux des amoureux de cette course. Fort d’une longue préparation, d’importants travaux d’optimisation de son bateau avec de nouveaux foils, et d’une navigation raisonnée, il aurait pu être le grand gagnant de cette édition.
Le 27 janvier dernier, à moins de 24 heures de l’arrivée, Boris Herrmann, à bord de SeaExplorer-Yacht Club de Monaco, pointe à la troisième place du Vendée Globe 2020-2021 et, avec les six heures de compensation obtenues après l’opération de sauvetage de Kevin Escoffier, il joue la victoire dans cette épreuve insensée où rien ne s’est déroulé comme attendu. Mais, à 90 milles de la ligne d’arrivée (en gros à quatre heures du but), alors qu’il a effectué une course propre, précise et combative tout en ménageant son bateau, une collision avec un chalutier espagnol ruine ses derniers espoirs de brandir ce trophée si convoité par les meilleurs marins du monde. Après avoir sécurisé son IMOCA durement endommagé dans le choc (casse de son foil tribord, rupture d’un hauban, casse de son bout dehors et de son balcon avant), il continue à vitesse réduite et franchit la ligne le 28 janvier à 11h19. Avec un temps de course de 80 jours 14 heures 59 minutes et 45 secondes, il se classe cinquième et devient le premier navigateur allemand à terminer le Vendée Globe. Et, en champion, de relativiser à peine mis le pied à terre : « Ce qui aurait été un malheur, c’est de devoir abandonner. Le Vendée Globe, c’est une aventure beaucoup plus profonde que la place de troisième ou quatrième. C’est l’une des dernières aventures de notre temps. » Moins de 10 jours après son arrivée, Boris Herrmann reconnaît être encore très fatigué. « Après des projets intenses comme celui-là, il faut se donner du temps pour retrouver de l’énergie », nous confie-t-il. Avant de revenir sur le sauvetage de Kevin Escoffier, un moment très dur mentalement. « J’étais pile sur sa route et Jean (Le Cam) était juste à côté, mais quand il perd Kevin, la Direction de course me demande d’y aller. C’est normal, je m’y attendais. A quoi ça sert après de continuer si on a perdu un camarade. Rien d’autre ne compte à ce moment-là. » Certain de la qualité de construction de son bateau, qu’il connaît par cœur depuis quatre ans qu’il navigue avec, Boris Herrmann n’a jamais eu de doute ou de craintes par la suite. « Bien sûr, tous les jours il y a des hauts et des bas… Comme au Cap Horn où j’ai un problème de grand-voile et je perds plusieurs places à ce moment-là. » A ce propos, il souligne comme il a cherché à être le plus honnête possible sur ses émotions, le plus ouvert dans sa communication. « J’ai toujours dit quand j’étais stressé, j’ai même pleuré quand j’ai déchiré la chute de ma grand-voile au Cap Horn. » Mais, comme il l’a précisé juste après sa collision avant l’arrivée, « c’est dans ces moments-là que je suis le plus fort. Je souffle, je me calme et je règle le problème. » Certains observateurs ont pu lui reprocher d’avoir fait preuve de trop de prudence, de ne pas avoir assez cru en ses chances, mais Boris ne regrette rien dans sa façon de naviguer. « Je pense que j’avais raison de préserver mon bateau et quatre heures avant l’arrivée, tout était possible, je pouvais encore gagner le Vendée Globe. » Et devant les quelques critiques qui se sont élevées contre les nouveaux foils, il est catégorique : « Les foils, c’est clairement le futur. C’est la force d’innovation de la classe IMOCA qui rend ce sport intéressant. Ce Vendée Globe a été unique avec des anciens bateaux bien placés, mais sur les courses transatlantiques, très vite on ne les voit plus. Jusque-là, il fallait payer très cher pour être plus léger, avoir de meilleurs ballasts et obtenir des gains faibles, mais là, on peut voler, naviguer 10 nœuds plus vite. On ne sait pas encore les maîtriser et il va y avoir 10 ans de recherches empiriques. C’est un chemin prometteur et intéressant. » Alors, s’il ne s’y engage pas dès aujourd’hui, il y a fort à parier que Boris sera de nouveau sur la ligne de départ du Vendée Globe dans quatre ans. Avec encore plus d’ambitions.

Rien n’était prévu, sauf l’émotion

Six femmes et vingt-sept hommes avec pour terrain de jeu, les océans. Des tempêtes, un sauvetage, des pleurs, des sourires, une victoire indécise : ce n’est plus une course autour du monde, mais une régate planétaire, à nous couper le souffle !
Que retenir de ce Vendée Globe 2020-2021 ? Cela ressemble à un inventaire à la Prévert… Un départ retardé en raison de la brume. La malédiction d’Alex (Thomson) : le Boss (Hugo) abandonne sur problèmes de structure. Les malheurs de Jérémie (Beyou) : le taureau (Charal) rentre avant de repartir dans l’arène. La détresse de Kevin (Escoffier) : « Je coule ! » – « Je ne rigole pas… » – « Mayday ! »… les trois SMS envoyés lorsque son bateau se casse en deux et qu’il doit l’abandonner. Le flegme du roi Jean (Le Cam) : « Yes He Can » et il récupère Kevin après une nuit à le chercher dans 30 nœuds de vent et 5 mètres de creux. La solidarité entre marins : Yannick (Bestaven), Boris (Herrmann) et Sébastien (Simon) se détournent pour porter assistance et aider aux recherches.
La volonté de Damien (Seguin) : né sans main gauche, il termine à la 7e place et remonte le chenal des Sables en costume de Capitaine Crochet ! La force des femmes : les six skippeuses, Clarisse (Cremer), Pip (Hare), Miranda (Merron), Alexia (Barrier), Sam (Davies) et Isabelle (Joschke), franchiront toutes la ligne d’arrivée, même si Sam et Isabelle termineront hors course. La fraîcheur de Clarisse : si elle découvre la course au large en 2017 avec la Mini Transat, elle apprend vite et se classe 12e et première femme de ce Vendée Globe en battant le record d’Ellen MacArthur. Rien que ça !
La rage de Pip et d’Isabelle : avec des avaries à répétition, elles trébuchent, mais toujours se relèvent et repartent. Respect, Mesdames ! La rage de Louis (Burton) : le Malouin s’arrête à l’abri de l’île Macquarie, répare et effectue une remontée spectaculaire pour finir troisième. L’élégance de Charlie (Dalin) : au grand jeu « Où est Charlie ? », la réponse est souvent « En tête ! », mais s’il s’adjuge la Line Honours, il félicite sans réserve Yannick pour sa victoire. Le mental de Yannick : longtemps en tête avec une marge confortable, il l’a vu revenir puis se faire dépasser par plusieurs concurrents, mais avec une grande force de caractère il s’est accroché pour l’emporter sur le fil. Cocorico ! Le courage et la ténacité de l’ensemble des concurrents ayant terminé cette circumnavigation : si être au départ est déjà une victoire, être à l’arrivée est un exploit phénoménal. Chapeau donc à Thomas, Giancarlo, Benjamin, Maxime, Armel, Romain, Arnaud, Kojiro, Alan, Stéphane, Didac, Clément, Manuel et Ari. La tristesse et le désarroi de tous ceux contraints à l’abandon : Nicolas, Kevin, Alex, Sébastien, Sam, Fabrice, Isabelle et Sébastien, votre émotion et vos mots nous ont touchés et font la beauté du Vendée Globe. Comme dirait Sébastien (Destremau) : Merci !


Pierre Casiraghi

Premier supporter de Boris Herrmann

Lors de ses interviews, Boris Herrmann parle souvent de son ami Pierre Casiraghi, second fils de S.A.R. La Princesse de Hanovre, compagnon de navigation et soutien solide du navigateur allemand dans sa préparation. Il nous livre ses impressions à l’arrivée du Vendée Globe.

On vous sait très proche de Boris, comment l’avez-vous accompagné dans son Vendée Globe ?

On a beaucoup navigué ensemble et j’arrive à m’immerger dans la situation dans laquelle il se trouve car je le connais bien, et le bateau aussi. C’est parfois frustrant car on a envie d’aider, d’être là, mais on ne peut pas alors il faut trouver d’autres moyens. J’essaie de lui transmettre qu’il faut faire les choses pas à pas, minute par minute, jour par jour et puis si jour par jour ça paraît trop long alors on réduit minute par minute pour avancer petit à petit. Je lui rappelle que s’il semble très loin de revenir sur terre, ça va arriver et qu’il va rentrer. Il faut trouver les mots, parfois ça marche, parfois moins…


Vous êtes fier et heureux de ce qu’il a accompli, et même s’il a été près de gagner le Vendée Globe, une place de cinquième c’est extraordinaire. Comment le percevez-vous ?

C’est exactement ça. Il y a des émotions mélangées quand j’apprends l’accident, mais malheureusement ce sont des choses qui arrivent dans la voile. On le sait et parfois on l’oublie, mais on se répète que la course n’est pas terminée tant qu’on n’a pas passé la ligne. Il y a des milliers d’exemples que l’on a vécus ensemble sur d’autres bateaux, sur d’autres régates. On pense que tout va bien et puis on accroche une bouée, on arrache un safran, il y a un moment d’inattention : ça fait partie du jeu, jusqu’à la fin ce n’est pas fini. Ça nous l’a rappelé et c’est pour ça qu’on aime ce sport qui réserve toujours des surprises.

A Monaco, il y a un passé maritime important. Cela continue-t-il ?

Monaco vit par la mer, et cela bien avant le musée océanographique et l’œuvre du Prince Albert 1er. Déjà au 14e siècle, les marins de la Marine française étaient dirigés par les Grimaldi et pendant la Guerre de Cent ans, les marins de Monaco étaient là. Nous avons un passé ancré dans la mer. Jusqu’au 19e siècle, l’accès à Monaco se faisait presque exclusivement par la mer, donc cela fait partie de l’ADN de Monaco. Nous allons continuer ainsi, en espérant être en parfaite harmonie avec la mer et sans la polluer.

Verra-t-on un bateau du Yacht Club de Monaco au départ du Vendée Globe dans quatre ans ?

Je ne sais pas, mais moi, je ne serai certainement pas à bord pour faire un tour du monde (rires). C’est très difficile comme épreuve et comme le disait Boris se relancer dans un Vendée Globe c’est aussi un projet très dur. Je ne peux pas garantir ça. Il faut d’abord qu’il se repose… et moi aussi. Ça fait quatre ans qu’on pousse ce projet, on a mérité une pause avant de voir ce que l’on va faire.

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