Yacht Class n°9 (juin-juil-août 2017)

MONACO EXPLORATIONS


Gastroentérologue de profession, Patrick Rampal préside depuis de nombreuses années le Centre Scientifique de Monaco. Aujourd’hui à la tête du Comité d’Orientation Scientifique, composé de dix experts du monde entier, il revient sur le programme et les ambitions de Monaco Explorations.

Un Professeur en médecine au chevet des océans ? Sont-ils si malades que cela ?

L’océan contribue largement à atténuer l’ampleur du changement climatique, d’une part en absorbant plus de 90% de la chaleur accumulée dans l’atmosphère du fait de l’augmentation de l’effet de serre, d’autre part en captant plus du quart des émissions de CO2 d’origine anthropique et en recevant la quasi-totalité de l’eau produite par la fonte des glaces. Ces processus qui permettent la régulation du changement climatique s’accompagnent de lourdes conséquences sur la santé des océans. D’abord, l’augmentation de la teneur en CO2 dissous dans l’eau de mer entraîne une « acidification des océans », sur laquelle le Prince Albert II associé à des spécialistes des sciences de la mer de 26 pays, a dès 2008 attiré l’attention de la communauté internationale par une déclaration solennelle : « l’Appel de Monaco ». Cette diminution du pH océanique si elle se poursuit pourrait engendrer de grands bouleversements, en particulier sur la capacité des organismes vivants dans l’océan à fabriquer leurs squelettes et coquilles. Ensuite l’augmentation de la température des eaux océaniques de surface, qui se sont réchauffées d’environ 4,4°C depuis 1970, entraîne migration d’espèces, blanchissement des récifs coralliens, colonisation bactérienne des eaux par des souches microbiennes jusque là peu représentées dans les eaux froides, etc. Enfin, l’élévation du niveau de la mer résulte de la combinaison du réchauffement qui augmente le volume des océans et de l’apport d’eau lié à la fonte des glaces. Certaines prévisions estiment qu’elle pourrait atteindre de 50 centimètres à 1 mètre d’ici 2100. Les effets sur la submersion des plaines côtières et la salinisation des sols en zone littorale sont évidents. Ces processus vont, aux côtés d’autres anthropiques comme la surpêche, la pollution des mers et les aménagements du littoral, affecter profondément la santé des écosystèmes marins et côtiers. Ces perturbations du milieu océanique vont altérer le tourisme balnéaire et surtout diminuer les stocks de poissons qui affecteront les marchés mondiaux et pourront avoir un retentissement sur le plan nutritionnel pour des centaines de millions d’habitants de la planète pour qui la pêche est source majeure d’apports protéiques.

Le CQFD de cette mission est déjà connu des grandes puissances du monde. En quoi de nouveaux états des lieux peuvent-ils interpeller plus ?

Lors de la campagne 2017- 2020 des Explorations de Monaco, le motor yacht Yersin accueillera à son bord plusieurs équipes de chercheurs scientifiques de haut niveau qui développeront à bord des programmes variés, certains observationnels (comportement de certaines espèces d’animaux marins), d’autres plus fondamentaux.Parmi ces derniers deux programmes seront abordés d’une manière récurrente tout au long de la route du bateau : le premier va chercher à démontrer l’importance qu’il y a à protéger la vie océanique autour des monts sous-marins, ces montagnes, le plus souvent d’anciens volcans, s’élevant depuis le fond de la mer sans atteindre la surface de l’océan. Ces monts sont des zones exceptionnelles de biodiversité qui fournissent des habitats pour des espèces marines introuvables dans les milieux environnants. Ils sont aussi des points d’étapes privilégiés pour les grands mammifères marins. Longtemps méconnus, ces monts sont nombreux. Leur superficie cumulée serait d’ailleurs équivalente à celle du continent européen. Ils abritent une biomasse le plus souvent très supérieure à celle des eaux environnantes, ce qui en font des zones surexploitées par l’industrie de la grande pêche. La sanctuarisation de certains des monts sous-marins les plus riches en biodiversité mérite d’être envisagée, et nous comptons sur les études génétiques qui seront pratiquées pendant les Explorations pour démontrer clairement l’importance de la préservation de cet habitat. Le deuxième programme récurrent va chercher à identifier si le réchauffement des mers conduit à des modifications biologiques qui conduisent à la transformation des écosystèmes marins (coralliens, bactériens, viraux, parasitaires) et constituent ainsi un risque pour la santé humaine.

Si tous les présidents du monde se donnaient la main, que pourrait-on espérer ?

Il faudrait qu’ils doublent rapidement la superficie des Aires Marines Protégées (AMP) avec l’objectif de protéger 20 % de la surface des océans. Ces AMP sont des zones où la faune et la flore marine font l’objet d’une protection par les lois internationales. Reconnues par les Nations Unies, elles ont été l’objet d’une classification établie par l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) selon une numérotation qui va de I à VI. On en recense actuellement plus de 5 000 dans le monde. En 2015, les AMP du monde couvraient, selon l’IUCN et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, 3,4% de la surface des océans. Mais la croissance de la superficie classée en AMP n’est que de 5% par an. Et seulement, 0, 25 % des AMP se trouvent dans les eaux internationales abritant des monts sous-marins et la biodiversité sanctuarisés. En pratique donc, seuls 2% des océans seraient effectivement protégés. L’objectif affiché par les organisations internationales est de protéger 10% des océans d’ici 2020 et 30% d’ici à 2030… le chemin est encore long !

Comme Paul Eluard je dirai : « La Terre est bleue comme une orange », car l’océan qui constitue le plus grand espace de vie de la planète, en recouvrant 70%, fait apparaitre la Terre lors des expéditions spatiales comme une énorme boule bleue. Avec une profondeur moyenne de 3 800 mètres, nos océans représentent un volume d’eau colossal (1 370 millions de km3). Or, ils sont en continuité, ils communiquent. De plus, ils sont extrêmement stables dans leur composition, la salinité est la même partout depuis des dizaines de millions d’année. Ils sont à l’origine de la vie sur Terre. Il est donc très important de respecter ce composant essentiel et de tout faire pour éviter de le dégrader !

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